Faut-il en finir avec l'exception culturelle?


Je suis d'accord avec les César des concessions autoroutières: l'Empire à deux-fois-deux-voies ne peut plus tolérer la résistance du petit village gaulois (occitan, très précisément) d'Avignonet-Lauragais. Là, au bord de l'A61, alors que le pays automobile vit sous la Pax Hamburgana, protégé par des légions d'Autogrill, d'Isardrome et de Jacques Bordel, subsiste le restaurant La Dînée, immeuble 70's amarré au bord du canal du Midi, où l'on continue de servir du cassoulet fait maison, cuit dans des cassoles nées des mains des potiers voisins. Mais, rassurez-vous, "si tout va bien", les choses vont se normaliser, l'Empire a signifié aux malfaisants d'Avignonet que leur concession prendrait fin au 1er janvier 2013.


Car, il est grand temps de fermer ce lieu désordonné, totalement en marge des standards autoroutiers, où les gens se permettent même de parler entre eux, de sourire et de passer un bon moment. La Dînée constitue en soi un trouble caractérisé à l'Ordre public, il est urgent de le remplacer par des distributeurs automatiques, des "rayons frais" et des cafétérias. Aussi bien d'un point de vue gustatif que diététique, vivement les sandwiches au pain de mie mou (rien que de l'écrire j'ai envie de vomir) et les salades piémontaises sous vide!


Cette histoire, que dis-je, ce scandale qui pue le mauvais fric, n'est pas neuve; cela va faire dix mois que la famille Gouttes (dont la grand-mère, Lucette, a créé le restaurant en 1973) se bat, David contre Goliath, afin de sauver La Dînée; tout est assez bien résumé dans cet article de La Dépêche du Midi. Et les Gouttes, Georges, le père et Frédéric, le fils (ci-dessus), ne sont pas seuls dans ce combat, épaulés depuis le début par Ivo Pages, le Pirata de Cadaquès (ci-dessous) qui a notamment créé une page Facebook qui rassemble ceux qui n'acceptent pas cette infamie, ainsi que par une partie de la Presse locale et nationale.


Mais, alors que l'échéance se rapproche et que les décideurs comptent sur l'oubli collectif pour annoncer les conclusions de leurs sombres conciliabules, il est temps de rappeler que l'éventuelle disparition de ce restaurant a valeur de symbole. D'abord, parce qu'en temps de crise, il n'est pas inutile de dire que La Dînée qui pratique encore le service à table emploie des dizaine de salariés  (décidément un endroit irrationnel…) dont la plupart n'a aucune chance de retrouver de travail dans un self-service et en aucun cas au même niveau de salaire. Parce qu'ensuite, ce lieu est une vitrine et un débouché pour les artisans et les paysans du coin, une vitrine économiquement autonome, qui ne demande rien à personne, aucune subvention et qui paye des impôts. Parce que c'est bien joli de classer le repas gastronomique français au Patrimoine immatériel de l'Humanité, nous nous en sommes tous réjouis, mais c'est quotidiennement qu'il faut défendre notre culture du goût, c'est quotidiennement qu'il faut lutter contre cet empoisonnement collectif qu'est la malbouffe. Parce que dans un pays dont le Tourisme est une industrie majeure, il est agréable de se dire que l'étranger qui va s'arrêter au bord de l'Autoroute aura, grâce à La Dînée, une image gustative de la France moins nauséeuse que celle que l'on veut imposer partout ailleurs. Parce ce qu'il est temps de rappeler à nos hommes politiques, en ces périodes de promesses, que voici une bonne occasion de prouver qu'ils ont quelque chose dans le pantalon en montrant au Groupe Vinci (dont dépend ASF, le concessionnaire du réseau) que l'aménagement du territoire doit être pris en considération. Parce qu'enfin, quel bonheur de reprendre la route, en sortant de table, et qu'une jeune femme, avec son accent du coin, vous souhaite bon voyage, bien mieux, bien plus chaleureusement, bien plus humainement qu'un panneau lumineux. Oui, je le pense, ce petit endroit tout simple, familial, constitue une exception culturelle.


PS1: continuez à faire circuler cette information, SVP, et n'oubliez pas d'aller manger un cassoulet à La Dînée, pourquoi pas avec un petit verre de gaillac de La Croix des Marchands comme nous l'avons fait samedi.
PS2: ce restaurant est aussi un symbole pour moi. Le 21 septembre 2001, à Toulouse, mon bureau de L'esprit du Sud-Ouest, à 400 mètres d'AZF, a été soufflé par l'explosion; quand j'ai finalement pu quitter la ville, quelques heures plus tard afin d'aller me remettre du choc dans les Corbières, le premier endroit sur la route où "j'ai trouvé de la lumière", c'était là, à La Dînée. J'y ai mangé un cassoulet qui je crois bien m'a sauvé la vie.

Commentaires

  1. Vincent, n'oublie pas de dire qu'il faut en profiter rapidement ! : http://www.lhotellerie-restauration.fr/journal/restauration/2011-04/Plus-de-concession-pour-La-Dinee.htm

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il y a encore de l'espoir, car, je ne le dis pas ci-dessus, mais cette aire d'Avignonet-Lauragais ne concerne pas que l'autoroute A61 mais aussi le canal du Midi! Comment imaginer qu'on laisse s'installer un monstrueux Autogrill au bord d'un élément du Patrimoine mondial de l'Humanité?

      Supprimer
  2. Je ne manquerai pas de m'y arrêter la prochaine fois que j'irai à Toulouse. J'aimerais bien en savoir plus sur les conditions dans lesquelles ces concessions sont obtenues ou renouvelées... en gros c'est comme les JO ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. ASF, le concessionnaire autoroutier qui fait partie du Groupe Vinci, parle d'un "appel d'offres transparent".

      Supprimer
  3. Pour information, voici la réponse (très diplomatique et automatique) qui m'a été faite chez Vinci:
    "J’ai fait suivre vos messages aux personnes en charge de ce sujet. Port Lauragais est une aire emblématique de notre réseau et VINCI Autor...outes entend, ici comme ailleurs, offrir le meilleur des services à ses clients. Comme vous le savez, une consultation est en cours pour déterminer le futur gestionnaire de ce restaurant. Loin d’une standardisation, celui-ci devra, c’est évident, mettre les produits du Lauragais et le respect des traditions au cœur de ses menus.
    A suivre, donc."

    RépondreSupprimer
  4. Merde, je n'avais pas vu ton post sur la Dînée, je connais ce lieu...ah, le Bel Incongru, c'est là où l'on constate que Vinci n'est pas de la veine d'un Léonard, il transforme la palette en seau et nous serons les nouveaux sots. La Dînée était notre dernier Balèze de détresse sur la route Languedocienne. Je partage avec le plus grand nombre cet avis d'effroi.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci, Jean-Louis, oui, là, il faut un appel au Peuple, le Chant du Départ et tout le toutim! C'est pour une œuvre!

      Supprimer
  5. Putain ! Se faire sauver la vie par un cassoulet ! Ca c'est top ! Sans déconner, cette affaire de la Dînée c'est complètement débile...j'arrive pas à croire que les gens de Vinci, j'en connais pourtant quelques uns, se comporte de façon aussi grossièrement vulgaire, voire complètement conne...Merci, Vincent, de nous l'avoir remis sur la scène !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Il ne faut pas hésiter à les contacter, à leur faire savoir ce qu'on pense de ce qu'ils sont en train de faire, à faire pression quoi. Vinci dispose d'une page sur Facebook sur laquelle ce blog a été publié sinon on peut écrire aux ASF à l'adresse suivante:
      ASF Direction régionale Aquitaine Midi-Pyrénées
      Lieu dit Gaussens - BP 40037
      47901 Agen cedex 9

      Supprimer
  6. Ouhai moi je connais un type qui conduit un camion chez Vinci, j'vais lui dire ..non mais alors !!

    RépondreSupprimer
  7. Nous parlons bien du restaurant sur l'aire de repos de Port Lauragais, j'y ai mangé la première fois en 98 sur les conseils d'un vrp qui avait de la bouteille. Depuis c'est mon arrêt cassoulet chaque fois que je passe en heure de repas....un cassoulet excellent! Oui il faut sauver cet endroit!!!
    Laurent Chapalain

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Articles les plus consultés