Sunday lunch in the Minervois.


On a mis un beau poulet de trois kilos dans le four, farci de foies de lapin. Il a même fallu ajouter une table à la salle à manger. Nous serons neuf, sans compter les enfants. On les fera manger avant. Pendant que les adultes referont le Monde, ils auront toute la place dehors pour jouer, crier, rire. C'est dimanche, même en période de vacances, c'est important, le dimanche, il y en a qui travaillent ici, la vigne n'a pas encore été informée des trente-cinq heures, elle ignore les congés payés.


Enfin, le grand vigneron qui vient déjeuner ce midi est au repos. Pour lui, c'est l'hiver. Actuellement, ses ouvriers doivent être à la taille. Richard Kinzbrunner, Rick, est une légende en Australie. Cet ingénieur en mécanique a commencé à planter ses vignes en 1982, au nord-ouest de l'état de Victoria, à Beechworth, pas très loin des Alpes locales. Chez lui, à Giaconda, son domaine installé sur une ancienne mine, on trouve pas mal de cépages, il en a essayé beaucoup: pinot, cabernet, merlot, nebbiolo, roussanne, syrah… J'ai très bien goûté son pinot noir 2004 il y a quelques mois, mais le vin qui fait sensation, chez lui, c'est son chardonnay. Je conserve un souvenir ému des quelques 2005 qui n'ont pas impunément croisé ma route. Là, Rick arrive avec son petit dernier, le 2010.


J'adore this fine wine. J'en boirais volontiers des litres. Pour l'accompagner, j'ai juste fait sauter à l'huile d'olive quelques ris d'agneau qui arrivent du marché de Carcassonne, à peine rafraîchis de deux feuilles de menthe cueillies dans la garrigue. Il y a décidément de la race dans ce chardonnay, beaucoup de précision également, à l'opposé de l'image que les Français (surtout ceux qui n'en goûtent pas…) se font des vins des antipodes. C'est assez coûteux mais, contrairement à d'autres merveilles australiennes, pas complètement introuvable en Europe; le très smart marchand londonien de St-James street, Berry Bros & Rudd en propose à quatre-vingt deux livres.


Assis à ma gauche, Trevor Gulliver exulte. Il se met même à parler français, avec son inimitable accent audois. Trevor, lui aussi a un pied à terre dans le coin, comme tant d'Anglais, connus ou inconnus. Son restaurant, le St. John*, juste à côté du marché aux viandes de Smithfield, est un des rares endroits où je réussis à manger convenablement à Londres, des tripes, des abats, du cochon, de vraies volailles…


Voila justement le poulet, confit par le vieux four à gaz. Et la réponse du berger à la bergère: Isabelle apporte à Rick, à l'aveugle, une carafe de Crown Prince, le petit vin de Phillip Jones. Je vous en ai parlé ici. Et , vous savez, le vin pour Mrs Peel. Tout le monde évidemment part en Bourgogne. Le Crown Prince 2009, comme le Giaconda 2010, est trop jeune, mais quelle pulpe, comme la texture de la chair d'une belle cerise noire. Modestement, Rick commente: "quand chez moi nous faisons un bon pinot, il est juste à côté de ceux de Phillip Jones". Avec la peau du poulet grillé, c'est remarquable, tout comme le volnay de chez Lafon qu'on débouche ensuite.


Je ne vous parle pas du plateau de fromages, rapporté lui aussi de Carcassonne, de La Ferme, festival de pâtes cuites ou juste pressées, beaufort, gruyère, comté, bethmale, cantal. Et des bouteilles qui suivent. Il y a comme ça, depuis quelques années en Minervois, un petit côté the place to be, pour le vin notamment, un petit côté qui me rappelle le Luberon de mon enfance, version british. Why not?


* Il y a plusieurs St. John en fait, le restaurant classique de Smithfield Market, incontournable, mais aussi le bistrot/boulangerie de Spitalfields Market et désormais un hôtel sur Leicester street, près de Piccadilly.

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