Ah, si seulement la GS n'était pas tombée en panne!


Jean-Claude Findus, honnête traiteur, sûrement moustachu, qui tient boutique dans la banlieue parisienne, à Noisy-le-Grand, va faire (indirectement mais en toute bonne foi…) son marché en Roumanie, pays réputé pour la transparence de ses activités économiques et la haute qualité gastronomique de ses productions alimentaires. Il aurait bien acheté de la Salers, de la Gasconne ou de la Parthenaise, Jean-Claude, mais il était arrivé trop tard au marché, sa GS ayant eu un petit problème d'humidité dans la tête de delco. Heureusement, à Timișoara, il a la chance (grâce à son intermédiaire, Maurice) de faire une super bonne affaire: il achète à vil prix de la superbe viande de bœuf, un peu plus foncée que celle qu'on trouve en France. Très heureux de sa bonne fortune, Jean-Claude confectionne, dans son modeste atelier de Noisy-le-Grand, de délicieuses spécialités dont ses nombreux clients du quartier raffolent, notamment d'exquises lasagnes… Mais voila qu'il en vend une barquette à John Taylor, un sujet britannique de passage dans la Seine-Saint-Denis, lequel rapporte ce trésor de la haute cuisine française sur son île. Or le goût puissant de ce plat heurte son délicat palais anglais accoutumé aux mets délicats issus des fermes forcément bio du Royaume. Il en touche un mot à son beau-frère, Jim Smith, fonctionnaire à la Food Standards Agency. Jim, fin limier, trouve le fin mot de l'affaire: il ne s'agissait pas de lasagnes de bœuf mais de lasagnes de cheval! Shoking! Outre-Manche, on peut avaler du jelly et énormément d'horreurs industrielles et même de la viande roumaine, mais on est très à cheval sur le cheval. La Presse londonnienne s'empare du dossier, le Sun demande qu'on déclare la guerre à la France, David Cameron propose d'organiser un référendum afin de savoir si la Grande-Bretagne doit quitter l'Europe.
En France, c'est la consternation. Dans le micro-trottoir, sur la première chaîne, Gérard Michu, "l'anonyme" de service, maugrée: "c'est les gros patrons qui commandent, on nous cache tout, on nous dit rien!" On lui retire vite le micro avant qu'il nous sorte sa tirade sur "les fusées qui détraquent le temps."
Aurélienne Bourgogne, la ministre concernée, ancienne professeur(e) d'arts plastiques, est indignée. Invitée du journal de la deuxième chaîne, elle peste contre cette "grave entorse à la traçabilité". Sous le regard approbateur du présentateur, elle annonce "une enquête diligentée par les plus hauts services de l'État, lequel ne peut tolérer que l'on trompe ainsi le consommateur." Elle propose enfin de mettre en place une cellule psychologique pour les habitants de Noisy-le-Grand.
Gérard Michu, "l'anonyme" de service, est rassuré tandis que Jean-Claude Findus et son intermédiaire Maurice ont chaud aux fesses. Ah, si seulement la GS n'était pas tombée en panne!


Je l'avoue, je me délecte du très médiatique bal des faux-culs qui est en train de se dérouler sous les yeux d'un public qui doit être bien couillon pour encore avaler ça. Cette histoire des lasagnes Findus à la viande de cheval est une merveille du genre, une merveille d'hypocrisie.
Tout le monde dans cette affaire fait mine d'ignorer la réalité, une réalité toute simple: quand on achète quelque chose au prix de la merde, tout naturellement, c'est de la merde* qu'on achète. La barquette de lasagnes Findus était vendue £1,29 en Grande-Bretagne. Moins de deux euros, avec du vrai bœuf, des vraies tomates, de la vraie béchamel, du vrai fromage dedans? Allons, allons… Tout cela est un grand jeu de trompe-couillon auquel on fait semblant de croire. On n'a jamais dépensé aussi peu pour se nourrir, on veut en plus que ce soit sûr, que ce soit bio, que ce soit bon et que quelqu'un l'ait déjà cuisiné pour nous. C'est IM-POS-SI-BLE !
Cette histoire où chacun joue les pucelles effarouchées est évidemment ridicule. De qui se moque-t-on? De quoi se plaint-on? Il faudra bien accepter un jour l'idée que si on veut manger correctement, il faut y mettre les moyens; soit en cuisinant soi-même des produits simples clairement identifiés, issus d'une filière courte (c'est le plus simple et le plus économique), soit en payant cher pour produits préparés par d'autres, en dehors des circuits industriels et de la grande distribution. Bref, en décidant, car nous avons tous le choix**, d'arrêter de faire la fortune de ce pauvre Jean-Claude Findus et de ses amis. La planète, nos estomacs (et les lasagnes) ne s'en porteront que mieux.



* Pour ce qui est de faire passer du cheval pour bœuf, quitte à choquer nos amis anglais (et quelques unes de mes copines qui vénèrent le meilleur ami de l'homme), ça n'a jamais tué personne, il y a mille fois pire en matière de tromperies. Franchement, on devrait plutôt se réjouir du fait que ce ne soit pas du chien, du chat, du rat, des larves d'insectes ou des déchets hospitaliers…
** Qu'on ne me ressorte pas l'argument éculé du manque de temps, ça ne tient pas et c'est même insultant pour les générations précédentes.

Commentaires

  1. Excellente fable des temps modernes, en effet ;-)

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  2. Quand t'achètes de la merde en boîte tu te retrouves avec de la merde dans ton assiette...Valable aussi pour la pisse en bouteilles...pas d'excuse du genre "on croyait que c'était correct comme bouffe"...Assez d'articles, de reportages sur le sujet pour dire publiquement que ce genre de bouffe c'est de la merde en boîte, tout le monde le sait...Il y a quelques années déjà, j'avais vu sur FR3 un reportage sur une usine où on fabiquait des steack hachés, vendus congelés, ultra bas de gamme...à gerber...j'ai plus jamais mangé un steack haché en dehors de la maison. merci, Vincent, pour ce fabliau et encore comme tu dis ce n'était que du cheval...!

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  3. Au pays de la vache folle, il fallait bien un moyen de restaurer "la confiance du consommateur", quelques peu avariée elle aussi, en réintroduisant le boeuf sous forme du cheval,fût-il de Troie.
    Dans toute cette affaire de lasagne bolognaise qui vire à la macédoine, certains feignent de découvrir la réalité et, dans un accès prodigieux de mimétisme bovin, ruminent alors contre l'évidente banalité des faits en criant les mantras habituels : traçabilité, traçabilité. Mon code-barres, où est mon code-barres, qu'est-ce que j'en ai fait encore ? Mon cheval pour un code-barres.
    Terrorisme, krach, vaches folles, virus électroniques, findus alimentaire, catastrophes naturelles: tous ces phénomènes sont corrélés et obéissent au même protocole de virulence. Tous sont cohérents entre eux et cohérents avec le fonctionnement courant du système.

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