Les travelos, spécialité barcelonaise.


Il y a vraiment des moments où les bras vous en tombent! Je rigolais il y a quelques semaines du soudain (et brutal) engouement des professionnels Espagnols, et, en particulier, des Catalans, pour les "vins naturels". Tout cela dans le plus grand désordre, avec un drolatique côté brouillon où tout se mélange, bio, biodynamie et naturalité; c'est normal, la peinture n'est pas encore sèche… Ça avait été l'occasion pour "l'inventeur" du vin naturel, outre-Pyrénées, le bistrotier Benoît Valée de mettre quelques points sur les i, se moquant au passage des "moutons de Panurge, des suiveurs, parfois même des parasites […] qui n'ont rien à dire et qui face à un échec, le leur et celui du vin dans ce pays, tentent de rebondir, en jouant sur la confusion et l'esbroufe". Et, j'avais évoqué une foire qui allait bientôt se tenir à Barcelone BCN-VN, manifestation "de référence" selon ses organisateurs, dont un démonstrateur en fabrication de gin-tonic. Le journal régional, La Vanguardia en a même remis une couche la semaine dernière qualifiant l'évènement de "premier salon des vins naturels" en Espagne, négligeant de se souvenir que le bistrotier sus-cité en avait organisé huit depuis 2006, date d'ouverture de son commerce; il est vrai qu'à l'époque (époque qui a duré jusqu'à il y a quelques semaines), les grands publi-reporters locaux avaient pour consigne de ne s'intéresser qu'aux soupes de planches.


La date approchant, c'est en mai, je crois, j'ai reçu la semaine dernière, une invitation, en patois, pour ce fameux BCN-VN. Et, hier, je suis allé jeter un œil au programme de ce considérable évènement, suffisamment considérable pour qu'aient été louées les anciennes arènes de la Place d'Espagne, dévitalisées et transformées depuis en un hideux centre commercial. La question qui m'intéressait était de savoir comment les organisateurs allaient faire pour remplir un espace aussi vaste avec les trois-quatre vignerons alternatifs qui existent en Catalogne (car vu le dialecte utilisé pour l'invitation, on pouvait présumer que le Monde allait se réduire aux environs). Et là, j'ai hal-lu-ci-né!


En fait, la plupart des entreprises présentes sont les grosses usines à vin régionales qui sont aussi "natures" que moi petit rat de l'Opéra (je ne sais pas si vous m'imaginez en tutu rose?): les mousseux de Codorníu et Gramona, les productions de masse de Pinord, Pares Balta, Jean Leon ou Raimat. Et perdues au milieu une ou deux caves du coin qui tentent de jouer le jeu mais qui visiblement se sont fait embarquer dans une galère dont elles avaient sous-estimé le tonnage. Un peu comme si on organisait à Paris un salon des vins naturels avec Castel, Pernod-Ricard et La Villageoise
Évidemment, ce grossier subterfuge prêterait à rire si les lèche-culs du feuilles de chou du coin ne propageaient pas la bonne parole et les instances officielles un appui visible. Si l'on n'avait pas l'impression de retomber une fois de plus dans cette misère intellectuelle du vin espagnol où, comme me le disait un vigneron andalou, "on ne fait que la moitié et on raconte le double". Vraiment, ce n'est pas sérieux, ça fait charlot. Comment voulez-vous qu'ensuite on les croie une seconde quand ils vous racontent qu'ils sont bio, machin, truc?
Parce qu'enfin, même si pas mal de ces entreprises sont à la recherche du gadget qui peut leur sauver la mise, notamment sur un marché national déliquescent, ce n'est pas plus mal de dire ce qu'on fait et faire ce qu'on dit. Il n'y a pas de honte à faire des vins "non naturels" (lesquels regroupent pas mal d'étiquettes de rêve de Rayas à Roulot, de Chave à Selosse), à se battre avec ses propres armes. Ce qui est honteux en revanche, minable, c'est de travestir la vérité. Ça cache son jeu, ça sent les bas-fonds, un peu comme dans les bouquins de Genet ou les polars de Montalbán, et ça rappelle, les deux auteurs en ont abondamment parlé, une des spécialités barcelonaises: les travelos.



Commentaires

  1. C'est pas sympa pour les travelos...

    (en parlant de Montalban et de travelos, je viens de découvrir Gonzalez-Ledesma, auteur barcelonais qui triture avec grand talent les bas-fonds et les recoins sociaux de sa ville, noir de chez noir, sec de chez sec, c'est magnifique (façon de parler...). Je croyais que c'était un jeunot, mais il a 86 balais le bougre (...après tout, c'est logique : il parle finalement d'une ville qui a une âme, pas du parc disney actuel).

    Tom B.

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    1. Oui, c'est vrai, Tom, les travestis de BCN valent mieux que ces faussaires.

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    2. ...et ils se prennent sûrement moins au sérieux.

      tom b.

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    3. (...ou elles, pardon)

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  2. Cher Vincent, les vins natures me fatiguent, je dois l'avouer, surtout leur mode, mais là, bravo, quelle plume, quelles dents pointues, en résumé: quel talent ! je n'ai qu'une envie, entre deux Pépé Carvalho, relire encore des chroniques comme celles-ci. A bientôt
    Eric B.

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