On en mangerait…



C'est de “nouvelle cuisine” dont je vais vous entretenir aujourd'hui. Une “nouvelle cuisine” très en vogue au pays de Vatel et d'Escoffier, en ces temps d'économies d'échelle sur la masse salariale de restaurants reconvertis en mangeoires marketées. Une “nouvelle cuisine” malheureusement mise en avant aussi bien par des enseignants en hôtellerie, par des “meilleurs ouvriers de France” que par les politiciens absents qui, la main dans la culotte de l'industrie agro-alimentaire, ont pondu l'impayable décret sur le “fait-maison” dont on a parlé ces derniers jours. Car, oui, au nom du patrimoine gastronomique et culturel français, au nom de la préservation du goût, les politiciens auraient du agir, vraiment, fortement, ne pas se coucher une nouvelle fois devant le tout-libéral et le fric à tout prix. Parce qu'enfin, sinon, à quoi servent-ils? Pourquoi les paye-t-on si grassement, pourquoi leur offre-t-on ce train de vie de monarques?


Afin de mieux vous expliquer le meilleur des Mondes, le Monde parfait, normé, aseptisé que la démission de beaucoup (et la nôtre aussi parfois en tant que consommateurs) nous fabrique, j'ai parcouru une des bibles de cette "nouvelle cuisine", de cette "cuisine du petit camion": le catalogue, pardon, le Guide des Produits de Davigel. Davigel, vous ne connaissez pas forcément, est un des leaders de sa branche d'activité, filiale de la célèbre entreprise philantropique Nestlé (très impliquée dans l'écologie et la gastronomie…). Selon son directeur-général, Davigel répond "aux exigences de la restauration de demain”. Pour parler simple, cette usine géante, cuisine à la place des cuisiniers et leur livre en surgelés ce qu'ils auraient du vous préparer eux-mêmes.


Allez, c'est parti, tournons les pages, mais, attention: toute ressemblance avec des plats existants ou ayant existé chez des restaurateurs-tricheurs (y compris étoilés) ne serait ni fortuite, ni involontaire…


Les amuse-bouches, pour ceux que ça amuse encore, voila sûrement une des façons les plus esthétiques de "mettre les petits plats dans les grands". Là, on mange des couleurs. Parfois, je me demande d'ailleurs pourquoi on ne les fait pas en plastique, ça pourrait resservir d'un buffet à l'autre…
Le conseil du chef: la profusion, plus y'en a, mieux c'est!


La “gambas” (avec un S même au singulier…), reine incontestable du camping. Rien à voir évidemment avec l'exceptionnelle roja dont je vous avais ici expliqué le mode d'emploi. Origine forcément floue dans l'assiette alors que facilement repérable malgré son camouflage espagnolasse; on sait pourtant que d'une façon quasi systématique, dans plus de 90% des cas, elle provient d'élevages industriels basés originellement en Thaïlande et à Taïwan, et plus récemment à Madagascar.
Le conseil du chef : la servir bien cramée pour que le fumé passe sur les fins arômes de farines animales.


La marée. Très important, ça plaît aux dames ! Même à Sedan ou à Mouthe, on ne peut imaginer une carte sans trois ou quatre poissons hauturiers, mollusques & Cie. De toute façon, n'ayez pas de complexes, ce n'est pas à l'intérieur des terres mais au bord de la mer que la version surgelée de ces produits du bout du Monde est la plus surconsommée. En témoigne cette enquête où l'on voit que le littoral méditerranéen s'en est fait une spécialité.
Le conseil du chef: soignez l'assiette et le dressage, noirceur et dépouillement. Et préférez les nouvelles références, "avec peau" comme le saint-pierre, c'est plus nature!


Les légumes. Pourquoi continuer à se salir les mains avec de la terre? Pourquoi s'ennuyer avec ces paysans infichus d'être réguliers dans leur approvisionnement? Le maître-mot, c'est régularité. Sans parler de la qualité de présentation: c'est quand même beaucoup plus pro.
Le conseil du chef : en matière de couleur, insistez sur le vert, ça fait bio!


Le canard. Quelle merveille ! Que de progrès accomplis depuis qu'André Daguin, à Auch, a inventé le maigret (pour un Gascon, deux Parisiens ou quatre japonais comme le spécifiait la carte de l'Hôtel de France). Fabriqué en usine, "très bien placé niveau prix", le canard d'aujourd'hui a réponse à tout, du tartare à l'éventail, du duo au carpaccio. En cuisine, on ne s'en lasse pas, il est devenu le plat français le plus populaire, et souvent très loin de la Gascogne…
Le conseil du chef : noyez-le dans une sauce "genre" gasconne, landaise ou périgordine. Ou essayez le sucre, la figue, faites diversion.


Le poulet, un des rois de la table. Chez Davigel, le chef-maison, un M.O.F., vous le garantit de la meilleure origine. Mais, surtout, on vous le cuisine, façon moderne ou façon terroir. Une paire de ciseau, un micro-onde, et ça marche! Ne méprisez pas non plus la "volaille", appellation "nouvelle cuisine" de la dinde.
Le conseil du chef : n'oubliez pas de marquer les volailles avant le micro-ondes, sinon, ça se voit trop (ça m'est arrivé récemment dans un restaurant plébiscité par la critique…).


Le jambon, c'est bon, bien sûr. Sauf quand on vous le sert en tapas à Valenciennes. Alors là, on se dit que même si la France est, comme c'est écrit dans le journal et vu à la télé, championne du Monde du jambon grâce à Patrick Duler, on a encore du boulot pour mettre nos assiettes à niveau. En revanche, comme vous le voyez ci-dessus, avec un peu de "bon goût", on peut faire de superbes présentations de ces pièces de cochons!
Le conseil du chef : insistez sur les mots serrano et pata-negra, ça ne mange pas de pain, ne veut rien dire et, en prime, ça fait plus castagnettes…


Le tartare de bœuf. Au couteau, évidemment. Symbole de la dextérité du boucher ou du chef ; en le commandant, on imagine le feulement des lames sur la planche, tranchant avec précision la viande fraîche d'une bête qui quelques semaines auparavant broutait l'herbe parfumée de la Chalosse, du Nivernais ou du Poitou. Oui, on imagine, parce que le "minerai", ça ne fait rêver que les chercheurs d'or! L'avantage, me direz-vous, avec la version Davigel, c'est qu'on économise sur la boîte à pharmacie et les pansements…
Le conseil du chef : le servir avec des frites congelées, “rustiques”, non épluchées, puisqu'en principe, ces dernières échappent au désopilant décret gouvernemental sur le “fait-maison”.

L'agneau, que Darwin n'avait pas songé à voir comme le descendant de la souris. Son gigot, bien sûr, est cuit sous-vide, en usine, à la sonde. Mais ce qui étonne le plus, c'est la multiplication, quasi-christique, des souris évoquées plus haut. Au sens propre, on vous les sert à toutes les sauces, néo-zélandaises de préférence.
Le conseil du chef : rapidement demander au représentant Davigel de lui fournir un vin en poudre de l'Otago, ce qui constituerait un splendide accord de terroir.


Les desserts. Là peut s'exprimer la fantastique créativité du chef. Que de couleurs, quelle variété!Il y a les desserts de cette grand-mère qui déjà, mai 68 oblige, ne portait plus de soutien-gorge et avait rencontré monsieur Alsa, le dragueur des supermarchés : ah, l'île flottante au carraghénane et à la vanilline, j'en ai la larme à l'œil… Et puis, il y a les douceurs modernes, inventives, en pipettes ou en tubes, c'est très d'jeun' !
Le conseil du chef : proposer ses merveilles dans la formule très banlieue, très galerie marchande, du “café gourmand”, on a ainsi la chance de se croire sur TF1 sans allumer le poste.

Allez, bon appétit, si vous êtes à table!




Commentaires

  1. Attention, Luc, tu sous-estimes la graisse de canard dans laquelle je baigne tous les jours mes frites taillées dans des pommes de terre bio d'Astaffort.

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  2. Et le saindoux de bon porc (noir gascon de préférence), bin élevé.

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  3. Ça, je n'ai jamais goûté, Patrick. Tu le fais?

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  4. Quant à moi, c'est bien la première fois que j'ai failli gerber en parcourant ton papier... La prochaine fois, dans un cas pareil, mets moins d'illustrations... Je t'en supplie !

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  5. Et ne pas oublié la bonne huile d'olive qui résiste à 220° et qui est bien meilleur pour la santé.

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  6. après, certains restaurants s'étonnent d'une baisse de fréquentation. Non seulement c'est pas bon, mais en plus c'est cher !

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