Provinciaux, têtes de veau !


Ça, c'est le luxe que j'adore. Sur le feu, dans la marmite, une tête de veau est en train d'achever sa cuisson. Nous sommes en Haut-Poitou, du côté de Parthenay, jadis grande plaque tournante du marché de la viande bovine, à une portée de fusil des grands canons de la Loire. La tête de veau en question, roulée de façon un rien rustique, n'est pas passée par le circuit, tantôt ultra-professionnel (il faut que je soigne mon divin boucher si je veux de la bonne viande!), tantôt opaque, aussi opaque que les mouvements de fonds d'un ministre de l'économie lot-et-garonnais*. Il ne s'agit pas bête issue d'une race "noble", c'est une mixte, une normande, mi-laitière mi-bouchère. Pas la plus glorieuse, je le concède, mais elle provient de la ferme d'un cousin, à quelques kilomètres de là, à Beaulieu-sous-Parthenay. La tête est arrivée escortée de ses pieds (ça peut servir) et d'un beau morceau de quasi.


Il fait un temps d'été sur le bocage, jusqu'à cette petite averse qui vient embrumer les prés. Juste le temps pour le troupeau du voisin, de venir se réfugier sous le grand chêne. Lui, mêle ses parthenaises, vaches arabes comme l'aubrac, filles du rameau brun apportée par le Maure, à des limousines. On en mangera bien un bout à l'occasion. L'été dernier, j'avais adoré un bout de paleron bien noir, juste jeté dans une poêle que le beurre de la laiterie d'à-côté, La Viette, faisait chanter.
Pas de parthenaise donc, au menu, la normande l'a emporté, comme souvent. Mais quelle normande!


À défaut de tête de veau, le voisin, Coco, a lui livré dix-huit œufs de ses poules de collection, donc quelques Marans. Six d'entre eux seront au cœur de la gribiche. Enfin, la gribiche… Pas plus gribiche que ça, puisque j'y ajoute du bon vinaigre de vin. Pas ravigote non plus à cause des œufs. Juste une bâtarde (voilà un joli nom, la sauce bâtarde**) qui, à mon goût, va bien au teint de la tête de veau.


Comme il se doit, les patates sont du jardin. Des charlottes, une variété créée de toutes pièces à la fin des années soixante-dix mais qui cultivée proprement, sans poudre de perlimpinpin, fonctionne bien. Oui, cultivée proprement, pour la pomme de terre, ce n'est pas une parole en l'air: savez-vous qu'il s'agit d'un des produits agricoles les plus "en pointe" dans la consommation de produits phytopharmaceutiques? Moins que les fruits, très gourmands en chimie, mais loin devant la viticulture (qui elle en plus utilise plus de pesticides bio)..


L'assiette est forcément très "graphique". Je crois d'ailleurs que la tête de veau est sûrement un des plats qui s'accommodent le mieux du dressage qui fait fureur aujourd'hui chez les foodistas de Paris (et pire, ceux qui les singent en Province!): immense assiette sombre, deux ou trois bouchées d'un aliment indéfinissable dans un recoin et quelques poussières, quelques scories de matériaux plus ou moins naturels autour. Graphique, on vous dit…


En revanche, et c'est sûrement un défaut par rapport à ce dont les précieuses ridicules de la becquetance se délectent à certaines tables branchées, ça a du goût, le goût de que c'est, le goût de la Nature. Et il y a de la matière, des textures, l'envie de revenir.


Et de quoi l'arrose-t-on cette tête de veau? De plein de choses différentes, qui fonctionnent plus ou moins bien, car elles correspondent plus à des envies de débouchage qu'à des tentatives d'accords. Le vin, idéal, c'est un gamay de terroir et d'intelligence, un fringant côte-roannaise de chez Sérol***. Les Millerands 2012, ça pète le fruit, ça appelle la ripaille. C'est en soi une publicité pour le vin!





* Et bientôt encore davantage grâce aux collègues de monsieur Cahuzac qui ont pondu cette nouvelle réglementation stupide sur la viande de supermarché.
** Le seul problème, c'est que le nom est déjà pris. J'ai vérifié.
*** Goûtez aussi leur étonnant gamay à bulles, le Turbullent!

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