Charlie-Hebdo, baisant, bouffant, buvant.


C'est à un vigneron de Banyuls que vous devez ces quelques lignes, mon camarade Alain Pottier, inventeur de La Tourasse, entre les hauteurs de Banyuls et sa cave de Port-Vendres. Par parenthèse, il produit entre autres un excellent rancio, intitulé Blanc de Méditerranée, un vin de méditation. Quelque chose me dit que des vins de méditation nous allons en avoir besoin dans les temps compliqués qui s'ouvrent. Car sans méditation, l'action…
Peu après "le drame", Alain, vieux amateur de puros, sans faire de grandes phrases, m'a envoyé un dessin, un dessin que lui avait offert Wolinski, pour un projet de musée du cigare, à La Havane. Parce que vous n'ignorez pas que Wolinski, lui aussi, aimait les puros. Ce dessin, le voici, avec son désir de vitoles et de transparences.


Certains parmi vous vont sûrement trouver ces histoires de vitoles et de transparences un rien déplacées, peu en rapport avec "l'immense émotion" qui étreint la France et le Monde libre. Ou en tout cas une partie de la France et du Monde libre.
Donc, demain, on va organiser une grande manifestation "d'union nationale", façon mai 2002. C'est très beau, ce sera sûrement émouvant, et j'y aurais peut-être même participé si j'avais été en France. Les commémorations, les hommages, les larmes de crocodile…


Je ne parle pas de ces foules "d'anonymes" comme on dit dans le poste. Je déteste ce mot, "anonymes", ça fait chair-à-canon. Et il y a suffisamment comme ça, sans ce genre d'expressions, de raisons de penser à cette guerre qui n'a pas complètement le courage de dire son nom. Dont on a du mal à envisager le coût.
Non, je pense plutôt aux hommes politiques qui vont jouer à la religion des larmes, se faire photographier dans la rue (quel courage!), affronter même peut-être la pluie, déverser en public des seaux de bons sentiments aussi dégoulinants que les violons d'un film américain, entourés de leur claque, de leur cortège de lèche-culs et les béni-oui-oui appointés. Tout ça va prendre de ridicules airs de circonstance et le lendemain matin, repartir comme en 14 dans la stupide guéguerre pour savoir quel intérimaire prendra le salaire aux élections présidentielles de 2017.
Mais, on se sera donné bonne conscience. Et surtout, dans cette France où l'on a posé le problème de la panne de l'ascenseur social mais sans le résoudre, où l'on compte encore plus de "fils de" (et de "filles de") que dans les monarchies voisines, en fronçant les sourcils, en évoquant les conséquences et sans jamais poser les vrais problèmes. L'Économie, la déchéance de l'Éducation, les zones de non-droit, notre laxisme vis-à-vis des nazis religieux et de ceux qui les financent, le manque d'exemplarité des gouvernants. Ils me font parfois penser à Boadbil, El Chico, le petit roi de Grenade, celui qui inspira aux Andalous la légende del Suspiro del Moro: "pleure comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme!"  


Ces jours-ci, évidemment, de tout ça il n'est pas question, c'est dans les jours à venir qu'apparaîtront les lignes de fracture masquées par le fond de teint provisoire, illusoire de "l'unité nationale". Pour l'instant, vade retro Houellebecq (l'ami de Bernard Maris), vade retro ceux qui ne sont pas d'accord, tout le monde "est" Charlie. Pourvu que ça dure, mais est-ce l'essentiel?
Parlons-en justement de Charlie-Hebdo. Durant ces soixante-douze heures qui puaient, j'ai vu, j'ai entendu, j'ai lu des Charlie (ou qui se présentaient comme tel) dont je me suis bien demandé s'ils s'étaient un jour tachés les doigts à l'encre noire de l'hebdomadaire. Braillant comme des pucelles effarouchés devant des plaisanteries que Charb, Choron, Tignous ou Reiser auraient trouvées un peu fades.
Comme je l'ai écrit par ailleurs, ce n'est pas parce que Cabu avait dessiné le générique du Club Dorothée* que lui et la bande de Charlie étaient des Bisounours**… Qu'on le veuille ou non, même si on pouvait trouver que c'était mieux avant, avant Val, avec Siné et d'autres***, ils étaient parmi les derniers représentants en France d'une Presse d'opinion. Une Presse pas toujours polie, pas toujours correcte, une Presse avec des couilles, une Presse qui ne laissait pas les mots aux autres, à ses ennemis, quitte à passer elle-même pour un peu extrême.


Chacun son histoire de Charlie. La mienne, ce sont ces journaux, ces albums aussi que je piquais à mon père; j'ai eu la chance de lire très tôt, donc j'ai même connu Hara-Kiri sans y comprendre grand chose. Une des premières BD dont je me souvienne (outre ce que je pouvais voir de Cabu dans Pilote), c'étaient les deux albums du Grand Duduche; Le Grand Duduche, d'ailleurs, c'était écrit comme Charlie Hebdo, dans la même typo mais en plus maigre. Le premier Grand Duduche, donc, éponyme, puis Il lui faudrait une bonne guerre! Avec dans le rôle du con, de l'écrivain raté, du fonctionnaire besogneux et pétochard, Belphégor, le pion, aussi vindicatif qu'un cocu, le briseur de rêves, le voleur d'azur. Et bien sûr, en arrière fond, le phantasme du Grand Duduche, et en suivant de ses lecteurs, la fille du proviseur. Comment oublier la fille du proviseur?


Ensuite, il y a eu Wolinski, on y revient. Lui, c'est simple, je m'en souviens, il y avait du cul partout. Avec lui, on sentait bien que les femmes n'étaient pas toutes aussi rosissantes que la fille du proviseur. Elles portaient des bas, écartaient les cuisses, avaient des seins qui pointent. Elles aimaient le cul, et ça, on le sentait en trois coups de crayon.
Qu'est-ce qu'il nous a fait bander, Wolinski! Même moi, je vous l'ai dit, qui était encore si petit.


Le pire, c'est que le type n'était pas qu'érotomane. Amateurs de havanes, comme raconté plus haut, mais aussi de vin et de bons gueuletons. 
Cet aspect-là, je ne l'ai découvert qu'ensuite. Concernant Wolinski mais aussi pas mal d'autres collaborateurs du journal, adeptes, à l'ancienne, de la réunion-repas ou de la conférence de rédaction arrosée.
Dans le monde de ce qui se mange ou se boit, on a retrouvé leur trace partout. Sur des menus de restaurants, sur des étiquettes de vin (on se demande comme les prohibitionnistes ont laissé passer ça!), dans des bouquins (dont le formidable Encore des nouilles! de Desproges illustré par toute l'équipe) et même en affiche, grâce à Reiser pour la sortie de La grande bouffe!
Charlie, bandant, bon-vivant, baisant, bouffant, buvant… C'est aussi comme ça que je vous propose de nous en souvenir au travers des quelques images qui suivent.


* Une émission pour enfants de la télévision française des années quatre-vingts. Voici ce qu'en dit Wikipedia.
** Une des séries diffusées au cours de ce même Club Dorothée, série un peu mièvre mettant en scène "les aventures des Bisounours, de petits oursons vivant dans les nuages et se déplaçant sur des arcs-en-ciel, chargés d'aider les enfants à combattre le Mal personnifié par le professeur Cœur-de-pierre et le sorcier Sans-Cœur. Bref un univers plutôt gnangnan.
*** Pas évident de réécouter aujourd'hui à propos du "c'était mieux avant", le "qu'ils crèvent" de Guy Bedos. Surtout après avoir entendu la digne douleur de Jeannette Bougrab, la compagne de Charb.


Commentaires

  1. Top Vincent après une bonne overdose de guimauve

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  2. C'est peut-être de la guimauve, mais de la belle guimauve. J'aurais aimé y être, à Paris, aujourd'hui. Mais je me suis contenté de Perpignan. Oui, ce fut de la belle guimauve. Mais beaucoup mieux que celle de l'indifférence, de l'ignorance crasse. Pour un moment en tout cas, on reste debout, unis.Et moi, je reste Charlie, que ça plaise ou non.

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    1. Moi, je suis allé à celle de Barcelone, 400 personnes et surtout pas de récup' apparente, ni politicards. Mais bon, maintenant, il faut ranger les mouchoirs et passer aux choses sérieuses.

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    2. au dela de la méditation, le Rancio sec est aussi un vin d'exclamation !
      Imaginons donc ce qu'aurait pu être une dégustation de Rancio sec à la rédaction de Charlie Hebdo ...

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    3. Surtout avec Wolinski, grand amateur de cigares...

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