Circuit court.


Après tant de sécheresse, la pluie, bienfaisante, a fendu en deux le vieux chêne devant la maison des parents d'Isabelle. Heureusement, la maman de la mignonne tête de veau de midi, qui aime bien s'y abriter, était rentrée à l'étable. Ouf !


Du coup, un peu comme on fait un bilan carbone, j'ai réfléchi à la proximité de ce que nous avions mangé au déjeuner. L'entrée, d'abord, carottes, tomates et betteraves du jardin. Les rillettes, c'est le cochon d'un voisin, expédié à la maison, au chaudron. Comme un hommage anonyme aux boudins du pauvre Christian Parra.


La tête de veau, on n'en parle pas, je l'ai déjà évoquée ici, elle vient du cousin Rémi; là, visiblement, c'était un bébé de parthenaise, bien brune, qui ne compte pas pour des prunes (on y viendra); sa sauce presque-gribiche, je vous en cause juste en dessous; pommes de terre et carottes, du potager of course


Le fromage de chèvre, c'est celui de la cousine Fabienne; presque déjà un produit exotique, il a parcouru treize kilomètres et sept cents mètres depuis La Ferrière pour arriver dans nos assiettes, comme le pain. Les premières mirabelles (amis lorrains, prenez garde!) de la tarte, escortées de prunes blanches sont évidemment du verger, je vois l'arbre de l'endroit où je vous écris.
Pour le vin, on a bu du vin de table du Layon, pas très loin d'ici (vous savez ce vin de table avec une étiquette blanche et bleue, un peu royaliste…) et du bourgueil; celui-là, c'est de l'importation directe, j'ai pissé dans sa vigne vendredi, au mont Sigou.


Soyons honnêtes, c'était dimanche, on a aussi servi des produits exotiques. D'abord les huîtres débarquées du département d'à côté, de La Tremblade, des spéciales n°2 d'Yves Papin, douces, délicieuses, comme d'habitude. J'avoue leur avoir mis un tour de poivre qui bien sûr arrivait des Indes. Exotisme aussi avec le sel, ramassé lors d'une balade à Guérande.


Oh, il ne s'agit pas de repli sur soi. Ni de se recroqueviller, de s'enfermer. Mais face à toutes les pseudo-originalités qu'on nous propose chaque jour, quel bonheur de sentir le terroir, le potager, les prés et les vergers voisins garnir notre assiette! N'oublions pas que la normalité est là, mille fois plus que sur ces cartes hors-sol qui vous vantent le bœuf "de Galice" en Poitou et le "Black Angus" en Anjou*, les "gambas" de pisciculture malgache en Touraine.
Le plaisir aussi est là, le goût, pour la viande notamment qui n'aura pas séjourné dans les longs couloirs de la mort de la boucherie multinationale, dont on connaîtra l'éleveur, qui nous montrera ses bêtes et ses prés.


Alors, je sais, on va me sortir l'argument plus que réchauffé du manque de temps, de l'impossibilité urbaine, etc, etc… Le temps, j'y ai déjà maintes fois répondu: c'est une honte de réfugier sa paresse derrière un monde moderne prétendument chronophage, une insulte même pour toutes les générations qui nous ont précédé, sans électricité, sans gaz, sans voiture, sans eau courante, sans réfrigérateur… Manger mieux est un effort, c'est vrai, et d'abord un choix, lequel implique une organisation et des impasses. Dans toutes les villes existent, en plus des commerçants honnêtes, des systèmes qui permettent d'utiliser ces "circuits courts"**. Sans compter que depuis l'invention des congélateurs*** et des bocaux, on sait conserver plusieurs mois les aliments ramenés d'un week-end à la campagne. À la clef, des économies, de l'écologie et du bien-manger, grâce à une gastronomie saine sans intermédiaire, sans marques ni emballages. 


Allez, pour célébrer ces fameux "circuits courts" reproductibles dans la majeure partie des régions françaises, je vous donne la recette de ma sauce presque-gribiche aux herbes et échalotes du jardin.
À l'avance, faites cuire dur six œufs du poulailler (ici, celui de Coco Albert qui a même des Marans et les échange contre des légumes). Dans un saladier, 4 belles cuillerées à soupe de moutarde forte (pas de la merde sucrée, por favor!). Vous la montez à l'huile d'arachide (importation, désolé), à hauteur de trois pour un. Vous ajoutez sept ou huit échalotes hachées grossièrement, puis une quinzaine de cornichons et une trentaine de câpres au vinaigre, hachés également. Ajoutez les œufs, concassés et froids, puis, au moment de servir, beaucoup de persil, de ciboulette et de cerfeuil hachés. Agacez l'ensemble avec un peu de bon vinaigre maison et quelque tours généreux de poivre. Même sans tête de veau, je m'en régale sur de bonnes pommes de terre. Du jardin…




* Les deux évidemment élevés dans des usines à viande de Burgos qui produisent aussi du Kobé de merde, et achetées au pousse-caddie, chez Métro, Promocash, ou en surgelé chez Nestlé-Davigel ou Brake.
** Tenez, un exemple à Toulouse dont on me parlait récemment, Le Cabas Bio de Karine Jouguet.
*** Oui, oui, la bonne viande, ça peut se congeler. J'en ai même goûté d'excellentes sorties du "dur". Y compris pour des pièces à griller (qui continuent à mûrir) comme me l'avait une fois montré le vigneron Jean-Philippe Janoueix avec de la vache d'un de ses copains de la Somme.




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