Selfie cochon.


Je finissais mon bouillon de cochon, première pierre de l'édifice sacré du cassoulet. Pendant que trempaient les haricots-maïs, mon fidèle Solsona découpait joyeusement couennes, queues, pieds, oreilles… et ce groin m'a plu. Il m'a rappelé un énorme fou-rire du début d'année, cette trouvaille, un imam de la banlieue parisienne, un peu dégénéré sur les bords, qui expliquait dans un de ses prêches que "celui qui mangeait du porc se transformait en porc"
Mon pauvre Mehdi Kabir, je n'ai pas résisté, je t'offre cette photo, ce selfie cochon. Tu avais raison, ô Lumière de la Pensée contemporaine, ô Comique suprême, mes abus répétés d'andouillette, de jambon, de filet-mignon, de boudin, de pâté, de saucisson, de langue confite, de rillettes… ont fait de moi un gros porc. Ta prophétie s'est réalisée.
Au passage, tant que le bouillon bouillonne, tant qu'à passer pour un gros porc "raciste", mon selfie cochon, je le dédie aussi à l'autre gourdasse, la "Nadine Morano de Gauche" a qui on a eu l'humour de confier l'avenir éducatif de nos enfants, ce Sinistre de l'Éducation nationale pour lequel le cochon est un signe d'appartenance religieuse. Je m'étonne, dans cette France dégoulinante de bien-pensance, où la chasse à l'amalgame ouvre bien avant celle du sanglier, que les professionnels de l'émotion, que les tartuffes ne s'indignent pas de la honteuse stigmatisation dont est victime notre pauvre cochon. Et n'intentent pas des procès.


Car ces temps-ci, c'est bien lui, le cochon, notre "prince de janvier", que l'on stigmatise. À longueur de journal, par la force de l'actualité, on le résume à son plus mauvais côté: l'élevage industriel, concentrationnaire. Ces porcs au mètre cube que fabriquent les usines à viande bretonnes, notamment, objets d'un bras de fer entre margoulins de l'industrie et de la distribution. Le cochon "moins cher que moins cher", celui dont la chair sent la pisse et le malheur, qui finira sous son nom ou celui d'un prête-nom au fond d'un caddie ou d'une assiette de restaurant, peu regardants l'un comme l'autre sur l'origine de leur contenu.
D'ailleurs, puisque Najat Vallaud-Belkacem se préoccupe de ce qu'on mange dans les cantines, peut-être pourrait-on lui suggérer de reproduire le geste de Pierre Mendes-France en 1954, le verre de lait distribué dans les écoles. Mais avec notre ami le cochon. Peut-être pourrait-on, pour relancer par le haut la consommation du porc, offrir aux élèves, à la rentrée, des tartines de pâté, de la saucisse ou des rillons issus d'élevages sains, histoire de montrer la valeur de ce bel artisanat. Dans toutes les familles "normales" (pour reprendre la terminologie en vigueur dans les plus hautes sphères de l'État), on mange du porc, cru ou en charcuterie, quatre ou cinq fois par semaine. Pourquoi les cantines scolaires n'aurait-elle pas droit elles aussi à la "normalité"?
On m'objectera que cela risque de mettre à l'écart une partie des élèves, issus de milieux religieux très pratiquants, musulman ou juif, et respectant des coutumes moyenâgeuses. On peut inverser le problème en se disant qu'au contraire, ce peut être pour eux l'occasion de s'intégrer en voyant d'autres gamins se régaler de produits qu'ils n'ont pas la chance d'avoir à la maison. Sans parler du fait que la stricte observance de ces croyances d'un autre temps, le communautarisme, ne sont pas l'affaire de l'école, laïque, et encore moins des cantines scolaires, service rendu au public, et non service public.


Bref, célébrons le cochon, pour ce que son généreux sacrifice nous offre, lui qui fut longtemps (et qui reste parfois) l'ultime rempart contre le faim, cette petite lueur de gras qui éclairait la nuit de l'hiver. Célébrons-le pour son goût, pour sa qualité, car un peu partout en France, on sait l'élever en le respectant, en en faisant un pilier de notre culture gastronomique. Ne laissons pas l'obscurantisme nous en détourner insidieusement. Et surtout ne nous laissons pas polluer, emmerder par des conneries qui ne font qu'ulcérer le petit peuple.
J'en profite, afin de mieux l'honorer, pour vous redonner ma recette de cassoulet. Elle n'est évidemment absolument pas "authentique", au sens où on l'entend à Castelnaudary, puisqu'elle ne comporte ni porc breton, roumain ou hollandais, ni légumes du bout du Monde. Celui confectionné hier avait pour socle de remarquables haricots-maïs de Larressingle, bien supérieurs au tarbais de grande série, du cochon du canard et de l'agneau de la Montagne noire. Arrosé de minervois de Borie de Maurel, il s'est terminé comme il se doit dans la bulle de Limoux, celle de Gilles Azam qui passait là par hasard.
Pourquoi le cassoulet? Parce que comme je le répète souvent, ce plat identitaire demeure un des meilleurs symboles de l'assimilation, de l'intégration. Une façon de faire le ragoût méditerranéenne, des légumes venus d'Amérique, cuits dans une poterie inspirée par les Italiens. Un avant-goût de la fusion-food
Bon appétit, et gloire au cochon!


Pour 6 personnes :
1 kilogramme de haricots secs (des gros tarbais et assimilés baraqués et sucrés comme des châtaignes ou de frêles et tendres cocos d'Ariège (Mazères) prêts à s’imbiber des jus de viande)
2 litres d’épais bouillon de cochon noir (confectionné entre autres avec les oreilles et la queue de cette bête aussi grosse et aussi noire qu’un Miura de Zahariche à Carmona près de Séville)
200 grammes de couennes et 1 andouille de couennes
1 bout d’oreille confite

1 groin
1 jarret de porc et des coustelous (comptez 6 os à ronger)
saucisse fine à volonté
200 grammes de collier de mouton ou de vieille brebis (faites les soldes chez le chevrotier)
200 grammes de poitrine de mouton (pour le bouillon)
100 grammes de lard vieux
un bout d’os rance ou de talon de jambon
2 cuisses de confit d’oie, des manchons
4 carottes, 1 poireau, coulis de tomate, 3 oignons, 30 grains d’ail rose de Lautrec, 3 clous de girofle, persil, sarriette, laurier
sel sans excès
poivre en abondance.



L’avant-veille, faire tremper les haricots en jetant ceux qui flottent à la surface. Dans le même temps, préparer le bouillon en immergeant dans l’eau froide (eau de source non calcaire) oreilles, queue, groin, pied et autres morceaux que la morale réprouve. Le bon goût impose un bouquet garni.

La veille, bien rincer les haricots à l’eau froide. Les mettre à cuire au bouillon dégraissé, avec le jarret, l’andouille, un quart du collier, les couennes, un bout d’oreille confite, le lard vieux et le jambon hachés, les carottes en rondelles, le poireau ciselé, les deux oignons cloutés, les trois-quarts de l’ail, vingt grains de poivre noir et deux cuillères de graisse d’oie. Un des axiomes du cassoulet - qu’il convient d’appliquer dès cet instant - est d’éviter de remuer, touiller, malmener le haricot ; il faut le laisser suivre son train de sénateur, deux heures à couvert sur feu doux, dans une marmite haute à fond épais.
Pendant que le haricot distille son jus, dans une poêle ou une sauteuse, préparer une sorte de fricassée de mouton avec le reste du collier et de l’ail. On doit saisir, pas bouillir ! À la fin, ajouter trois cuillères à soupe de coulis de tomate, une pincée de sarriette et quelques tours énergiques de moulin à poivre. Parallèlement, faire rapidement griller au four la surface des coustelous. Dans le même ordre d’idée, on peut dans une autre poêle, donner un peu de couleur aux morceaux de confit d’oie que l’on découpera ensuite en six morceaux.


Deux heures se sont écoulées depuis le début de la cuisson des haricots, l’heure est grave. Le moment délicat, en tout cas. Frotter d’ail la cassole. Avec précaution, pour ne pas blesser les haricots, retirer les couennes et les utiliser pour tapisser les parois intérieures du plat de terre rouge. Verser ensuite une première couche de haricots, puis du jarret, coupé à la main en petits bouts, de l’andouille en rondelles, des coustelous détaillés, du confit, le mouton. Poivrer virilement, saler éventuellement. Recouvrir du reste des haricots, poivrer encore, puis mouiller plus qu’à hauteur avec le jus de cuisson du mouton et celui des haricots. Conserver au frais le surplus de ce dernier jus ou de bouillon de cochon s’il en reste.
Enfourner à cent, cent-dix degrés. Là, commence l’école de patience : la cassole devra rester au moins douze heures à ce régime pour que la cuisson s’opère réellement. Entre-temps, casser la croûte, l’enfoncer et arroser si besoin. La surface doit brunir mais jamais noircir. Quand tout vous semble juste et parfait, que les douze heures pleines se sont écoulées, éteindre le feu et retirer la cassole de son bouillant logement. Laisser tendrement refroidir, c’est à ce moment là que l’idée vient au haricot, qu’il infuse. Couvrir la cassole d’un torchon de cuisine et mettre de côté pour le lendemain.

Au petit matin du Grand Soir - ou de l’immense Midi - faire préchauffer le four à cent-dix degrés, le parfumer de quelques brindilles d’ajoncs aromatiques, et y introduire le cassoulet froid, éventuellement mouillé d’un peu de bouillon. Laisser réchauffer deux heures. Pendant ce temps, alors que l’on s’embrasse et que l’on débouche les bouteilles, sortir votre meilleure poêle 43 de tôle noire, la graisser légèrement et la faire monter en température pour griller la saucisse fine préalablement sortie du réfrigérateur.
Porter la cassole brûlante sur la table avec une salade bien vinaigrée, poivrée, aillée, ainsi que la saucisse servie dans sa poêle, les convives y  piocheront tandis qu’ils mangeront le haricot. Pas de service à l'assiette, par pitié, laissez ça aux gandins, le cassoulet se partage!

Il va de soi que les restes de ce plat – si par bonheur il en reste – seront gentiment réchauffés le lendemain et avalés aussi discrètement qu’égoïstement.








Commentaires

  1. Excellente, ta photo ! Ca me rappelle les Béru. En réponse à ta question, rappelle toi que le cochon, lui, ne vote pas. D'où le désamour public de ces élites dont il est l'objet sans hésitation. Merci pour ta recette, aussi. Je commence à en avoir quelques unes, je vais pouvoir me mettre aux fourneaux.

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