Spéculation par correspondance.


Ah, c'est moins sexy que d'aller lever la main à Sotheby's, à Christie's. On peut faire ça depuis son bureau, ou même vautré sur son canapé. Il suffit d'un iPhone; je vous promets, l'app fonctionne parfaitement. Bien sûr, à l'origine, les ventes de vin sur Ebay, c'était à la fois anecdotique et dérisoire: genre le type qui se débarrassait (pensant avoir trouvé un trésor) du Mouton-Cadet 1973 déniché dans la cave de papa.
Désormais, c'est pointu. À côté des rossignols poussiéreux, débarquent sur le site d'enchères américain des bouteilles dont le marché est avare. Regardez ce clavelin de vin-jaune d'Overnoy, un 2000. Ça, évidemment, vous ne le trouverez jamais au pousse-caddie entre les couche-culottes et un litron de corbières de coopé. Rarement chez un caviste. Ou alors un type affuté, comme on en trouve de moins en moins avec l'invasion de marchands de fringues reconvertis qu'a connue ce métier (qui a d'ailleurs parfois, malheureusement, cessé d'en être un*).


Le Jura, on le sait, les prix ont explosé. Je l'avais écrit il y a trois ans**, lors de la cession du domaine de Jacques Puffeney à Marquis d'Angerville. J'avais alors osé parler du bourgognisation de cette minuscule région dont les crus, à leur tour, pour cause de mode, devenaient la cible des acheteurs internationaux. On m'avait bien sûr expliqué qu'il n'en serait rien, que tout continuerait comme avant…
Le Jura, et en plus Overnoy. Un des grands noms, où la relève est assurée, mais pour les spéculateurs (qui connaissent bien leurs clients les snobs), ce qui n'existe plus vraiment est forcément meilleur, plus cher en tout cas. "C'était mieux avant".


Dans ce milieu-là, aussi opaque que celui des salles des ventes, on trafique évidemment ce qui tient le haut du pavé. Chartreuse (de Tarragona ou pas), vieux rhums, bourgognes rares, Rayas, pomerols et donc juras à la mode.
L'authenticité ? Vaste question. Mais quand on voit ce qui se trimballe, en matière bourguignonne notamment, sur le marché, on se dit que ce n'est pas pire qu'ailleurs. Faut-il rappeler toutes les bouteilles, entre autres, de Kurniawan, ces grands crus de la Côte de Nuits qui ont fini à la casse***, toutes certifiées par des experts et des commissaire-priseurs? Je me souviens avoir fait une ou deux bonnes affaires, des Suchots 2010 de Cathiard à 10% du tarif actuel. Mais bon, c'est un peu n'importe quoi.


À propos de n'importe quoi, regardez, c'est le prix auquel s'est vendu le clavelin d'Overnoy. Huit-cent-cinq euros, sans le port. Si, si, je vous assure, vous pouvez aller vérifier sur Ebay****. Un de mes amis, caviste affuté et honnête, a récemment vendu un 1989 pour cent-quatre-vingts euros. "C'est la vie" disait Puffeney lors de la vente de son domaine. Et même s'il reste encore du buvable/abordable, difficile de penser qu'il ne faut pas jeter un coup d'œil ailleurs. Sauf à aimer passer pour un Américain.
Bon, allez, on ne va pas épiloguer, je préfère laisser le mot de la fin à Pierre Overnoy lui-même, ainsi qu'à son "fils", Emmanuel Houillon. Justement, au mois d'avril dernier, je leur demandais ce qu'était le vin, pour eux.




* Eh oui, un métier, avec des vieux de la vieille auxquels j'aime rendre hommage. Comme ici à Toulouse.
** Dans cette chronique intitulée Le Jura bourguignon.
*** C'est toujours spectaculaire à regarder ces étiquettes déchiquetées sous l'œil goguenard du shérif.
**** Où un autre, plus vieux, un 89, flirte actuellement avec les mille cinq-cents euros… Un vigneron jurasso-bourguignon visiblement bien informé de la tendance tente sa chance depuis cet après-midi avec un 86 à 2800€ sur Le bon coin


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