Vigneron de métier.


Le Mondovino est bourré de gitaneries. Admettons qu'on appelle ça le commerce. Ce n'est pas toujours de la triche, juste des arrangements qui, de proche en proche, finissent par nous donner des bouteilles maquillées comme des voitures volées. Et ne croyez pas que ce soit l'apanage des "gros", de ceux qu'il est de bon ton de conspuer pour faire jeune, branché. Des Mouton-Cadet ou des Tariquet, de ces marques que l'on doit impérativement, bruyamment haïr afin de passer pour un "grand connaisseur"*. Non, la science des savants à la gomme arabique déborde largement les frontières du vin de masse, s'incruste dans les niches, s'infiltre dans les vignes et les caves les plus alternatives à coup de produits espagnols ou de flash-pasteurisation, cette méthode industrielle qui rend le pinard aussi vivant qu'un Caprice des Dieux.


Et puis, heureusement, il y a ces vins qui vous tendent une belle pogne anoblie par le travail, tellement plus franche que celle des vignerons manucurés. Des vins qui n'arrondissent pas artificiellement les angles, qui parlent d'un sol, de ses cailloux, pas d'un procédé ou de sucraille. Des vins réellement "nature", loin des stéréotypes.
Ceux que produit Philippe Courrian dans sa vallée de Paradis sont de cette trempe. Ils se moquent des modes et de la branchitude des révolutionnaires en carton. Ils sont d'ailleurs, aux yeux des snobs et des mondainvineux, bourrés de défauts rédhibitoires, autrement plus graves qu'une volatile de deux grammes ou un très écologique "nez de toilettes sèches"**. 
Leur prix d'abord. La délicieuse Roque dansante 2014 dont je me suis régalé chez ma chère Fanny, à Villesèque-des-Corbières coûte 4,50€ TTC au particulier. Oui, je sais, c'est ridicule. À ce tarif, mon pauvre Philippe, comment veux-tu réussir à la capitale? On ne peut pas te prendre au sérieux!
Les étiquettes ensuite. Elles sont comme elles sont. Chez Courrian, on est médoquin, ce n'est pas demain la veille qu'on dessinera une femme à poil pour vendre du rouquin. Le problème, c'est qu'avec les vendeurs et les buveurs d'étiquettes…


Philippe Courrian, mon ami***, est un professionnel. Dans sa famille, on est d'ailleurs professionnel depuis pas mal de générations. La vigne, le chai, c'est un métier, et c'est le sien****.
Voilà d'ailleurs un truc qui m'agace particulièrement dans le néoMondovino: tu vois débarquer des types, issus de boulots qui n'ont strictement rien à voir avec la viticulture, des fonctionnaires, des architectes voire des éducateurs spécialisés et au bout de six mois, verre de vinaigre en main, ils expliquent aux vrais professionnels comment on fait le vin. Ce serait cocasse si ce n'était pas insultant. 
Oui, Philippe est un classique, un pur, un idiot qui dit dit ce qu'il fait et fait ce qu'il dit. Une sorte de Don Quichotte des corbières, comme l'indique la girouette du moulin de Cascadais. Il ne vinifie pas par téléphone, en direct des restaurants à fleurettes de telle ou telle métropole, vit comme un sage, delteillement, au milieu de ses vignes, dans la banlieue de Saint-Laurent-de-La-Cabrerisse et les connaît toutes par leur prénom.
Si votre quête liquide est de trouver des bouteilles pour vos selfies Facebook/Twitter/Instagram, passez votre chemin. Mais si vous voulez arrêter de vous compliquer, tourner le dos au (coûteux) blabla, en finir avec les gitaneries, alors filez de ma part voir Philippe Courrian. Régalez-vous de son corbières (7,60€) et ayez l'intelligence de cacher de son incroyable tannat (21€) au fond de votre cave. Ce sont des alicaments.




* J'ai pensé très fort à Tariquet en goûtant un blanc de chardonnay qui fait un tabac chez les cavistes mélenchonistes: nez exubérant à tendance levurienne, acidité suspecte, et dix bons grammes de sucre résiduel (qui lui ont ensuite permis de caraméliser ma poêle). Bref, du Tariquet sans le nom, alternatif…
** Ce "nez de toilettes sèches", formidablement persistant à l'aération, je l'ai rencontré il y a quelques jours sur un rouge du bas-Minervois (dont je tairai le nom par charité chrétienne malgré son tarif exorbitant). Une odeur de caca, pour être plus précis. C'est "nature" m'a-t-on dit. Ah bon? On était loin pourtant de ce nez de bouquet de roses qui enchantait tant le grand Jules Chauvet que la scatophilie pinardière n'attirait pas outre-mesure… 
*** Ben oui, moi aussi, j'ai le droit de parler du vin de mes (vrais) amis…
****  La seule fantaisie qu'il s'autorise, outre le potager (magique), c'est son olivette qu'il traite avec le même soin que son "jardin de raisin". Résultat, une huile d'une rare finesse, trop rare malheureusement.


Commentaires

  1. j'aime le regard.....
    un oeil pour la volonté,le labeur,j'en est vu d'autres,c'est pas demain la veille.....
    un oeil pour le pardon,la générosité et la tendresse....

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  2. Par cette chaleur qui s'installe de nouveau chez nous, ton article me donne des envies de tonnelles et de baignades... Ce cher Philippe vit son vin et savoure son bonheur... Tant mieux pour nous !

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  3. En attendant, nous sommes toujours ravis quand les vins de Philippe, Véronique et Fabien débarquent sur nos paillasses. Et je les prends en photo. Et je les twitte. Si j'ai envie, d'abord. ;o)

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  4. "Ces fonctionnaires, architectes, éducateurs qui, au bout de 6 mois, expliquent aux professionnels comment faire du vin":
    C'est vrai qu'ils sont pénibles; dieu merci, on les parque souvent dans des salons branchés...
    Cependant il existe des gens qui débarquent de nulle part, n'ont fait aucune formation, peut-être un stage de quelques jours, et seulement munis de quelques recettes et d'une grosse envie, font parfois des miracles. Cela a beaucoup de charme.

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    1. "Font parfois des miracles"... "Parfois" et "miracles", tout est dit. Ils font malheureusement plus de raisonnements.

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  5. Avec des prix aussi bas, parvient-il à vivre correctement ? Cela me rappelle certains petits producteurs qui vendent de bons petits vins à moins de 6€ mais ce n'est pas toujours facile pour eux.

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    1. Il vit de façon delteillenne, dans l'amour et la beauté, mais sans Ferrari.

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